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-                            CANDIDE,
-
-                               ou
-
-                          L'OPTIMISME,
-
-                      TRADUIT DE L'ALLEMAND
-
-                     DE M. LE DOCTEUR RALPH,
-
-                       AVEC LES ADDITIONS
-
-   QU'ON A TROUV\810\877ES DANS LA POCHE DU DOCTEUR, LORSQU'IL MOURUT
-
-                  \810\868 MINDEN, L'AN DE GR\810\870CE 1759
-
-                              1759
-
-
-
-CHAPITRE I.
-
-Comment Candide fut ¨¦lev¨¦ dans un beau ch\810\899teau, et comment il fut
-chass¨¦ d'icelui.
-
-Il y avait en Vestphalie, dans le ch\810\899teau de M. le baron de
-Thunder-ten-tronckh, un jeune gar\810\8a4on ¨¤ qui la nature avait donn¨¦
-les moeurs les plus douces.  Sa physionomie annon\810\8a4ait son \810\899me.
-Il avait le jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple;
-c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide.  Les
-anciens domestiques de la maison soup\810\8a4onnaient qu'il ¨¦tait fils
-de la soeur de monsieur le baron et d'un bon et honn¨ºte
-gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais
-¨¦pouser parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze
-quartiers, et que le reste de son arbre g¨¦n¨¦alogique avait ¨¦t¨¦
-perdu par l'injure du temps.
-
-Monsieur le baron ¨¦tait un des plus puissants seigneurs de la
-Westphalie, car son ch\810\899teau avait une porte et des fen¨ºtres.  Sa
-grande salle m¨ºme ¨¦tait orn¨¦e d'une tapisserie.  Tous les chiens
-de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin; ses
-palefreniers ¨¦taient ses piqueurs; le vicaire du village ¨¦tait
-son grand-aum\810\8b0nier.  Ils l'appelaient tous monseigneur, et ils
-riaient quand il fesait des contes.
-
-Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante
-livres, s'attirait par l¨¤ une tr¨¨s grande consid¨¦ration, et
-fesait les honneurs de la maison avec une dignit¨¦ qui la rendait
-encore plus respectable.  Sa fille Cun¨¦gonde, \810\899g¨¦e de dix-sept
-ans, ¨¦tait haute en couleur, fra\810\8a6che, grasse, app¨¦tissante.  Le
-fils du baron paraissait en tout digne de son p¨¨re.  Le
-pr¨¦cepteur Pangloss[1] ¨¦tait l'oracle de la maison, et le petit
-Candide ¨¦coutait ses le\810\8a4ons avec toute la bonne foi de son \810\899ge et
-de son caract¨¨re.
-
-  [1] De _pan_, tout, et _glossa_, langue.  B.
-
-
-Pangloss enseignait la m¨¦taphysico-th¨¦ologo-cosmolonigologie.  Il
-prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et
-que, dans ce meilleur des mondes possibles, le ch\810\899teau de
-monseigneur le baron ¨¦tait le plus beau des ch\810\899teaux, et madame
-la meilleure des baronnes possibles.
-
-Il est d¨¦montr¨¦, disait-il, que les choses ne peuvent ¨ºtre
-autrement; car tout ¨¦tant fait pour une fin, tout est
-n¨¦cessairement pour la meilleure fin.  Remarquez bien que les nez
-ont ¨¦t¨¦ faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des
-lunettes[2].  Les jambes sont visiblement institu¨¦es pour ¨ºtre
-chauss¨¦es, et nous avons des chausses.  Les pierres ont ¨¦t¨¦
-form¨¦es pour ¨ºtre taill¨¦es et pour en faire des ch\810\899teaux; aussi
-monseigneur a un tr¨¨s beau ch\810\899teau: le plus grand baron de la
-province doit ¨ºtre le mieux log¨¦; et les cochons ¨¦tant faits pour
-¨ºtre mang¨¦s, nous mangeons du porc toute l'ann¨¦e: par cons¨¦quent,
-ceux qui ont avanc¨¦ que tout est bien ont dit une sottise; il
-fallait dire que tout est au mieux.
-
-  [2] Voyez tome XXVII, page 528; et dans les _M¨¦langes_, ann¨¦e
-  1738, le chapitre XI de la troisi¨¨me partie des _\810\877l¨¦ments de la
-  philosophie de Newton_; et ann¨¦e 1768, le chapitre X des
-  _Singularit¨¦s de la nature_.  B.
-
-
-Candide ¨¦coutait attentivement, et croyait innocemment; car il
-trouvait mademoiselle Cun¨¦gonde extr¨ºmement belle, quoiqu'il ne
-pr\810\8a6t jamais la hardiesse de le lui dire.  Il concluait qu'apr¨¨s
-le bonheur d'¨ºtre n¨¦ baron de Thunder-ten-tronckh, le second
-degr¨¦ de bonheur ¨¦tait d'¨ºtre mademoiselle Cun¨¦gonde; le
-troisi¨¨me, de la voir tous les jours; et le quatri¨¨me, d'entendre
-ma\810\8a6tre Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par
-cons¨¦quent de toute la terre.
-
-Un jour Cun¨¦gonde, en se promenant aupr¨¨s du ch\810\899teau, dans le
-petit bois qu'on appelait parc, vit entre des broussailles le
-docteur Pangloss qui donnait une le\810\8a4on de physique exp¨¦rimentale
-¨¤ la femme de chambre de sa m¨¨re, petite brune tr¨¨s jolie et tr¨¨s
-docile.  Comme mademoiselle Cun¨¦gonde avait beaucoup de
-disposition pour les sciences, elle observa, sans souffler, les
-exp¨¦riences r¨¦it¨¦r¨¦es dont elle fut t¨¦moin; elle vit clairement
-la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et
-s'en retourna tout agit¨¦e, toute pensive, toute remplie du d¨¦sir
-d'¨ºtre savante, songeant qu'elle pourrait bien ¨ºtre la raison
-suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi ¨ºtre la sienne.
-
-Elle rencontra Candide en revenant au ch\810\899teau, et rougit: Candide
-rougit aussi .  Elle lui dit bonjour d'une voix entrecoup¨¦e; et
-Candide lui parla sans savoir ce qu'il disait.  Le lendemain,
-apr¨¨s le d\810\8a6ner, comme on sortait de table, Cun¨¦gonde et Candide
-se trouv¨¨rent derri¨¨re un paravent; Cun¨¦gonde laissa tomber son
-mouchoir, Candide le ramassa; elle lui prit innocemment la main;
-le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle
-avec une vivacit¨¦, une sensibilit¨¦, une gr\810\899ce toute particuli¨¨re;
-leurs bouches se rencontr¨¨rent, leurs yeux s'enflamm¨¨rent, leurs
-genoux trembl¨¨rent, leurs mains s'¨¦gar¨¨rent.  M. le baron de
-Thunder-ten-tronckh passa aupr¨¨s du paravent, et voyant cette
-cause et cet effet, chassa Candide du ch\810\899teau ¨¤ grands coups de
-pied dans le derri¨¨re.  Cun¨¦gonde s'¨¦vanouit: elle fut soufflet¨¦e
-par madame la baronne d¨¨s qu'elle fut revenue ¨¤ elle-m¨ºme; et
-tout fut constern¨¦ dans le plus beau et le plus agr¨¦able des
-ch\810\899teaux possibles.
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-Ce que devint Candide parmi les Bulgares.
-
-
-Candide, chass¨¦ du paradis terrestre, marcha longtemps sans
-savoir o¨´, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant
-souvent vers le plus beau des ch\810\899teaux qui renfermait la plus
-belle des baronnettes; il se coucha sans souper au milieu des
-champs entre deux sillons; la neige tombait ¨¤ gros flocons.
-Candide, tout transi, se tra\810\8a6na le lendemain vers la ville
-voisine, qui s'appelle _Valdberghoff-trarbk-dikdorff_, n'ayant
-point d'argent, mourant de faim et de lassitude.  Il s'arr¨ºta
-tristement ¨¤ la porte d'un cabaret.  Deux hommes habill¨¦s de bleu
-le remarqu¨¨rent: Camarade, dit l'un, voil¨¤ un jeune homme tr¨¨s
-bien fait, et qui a la taille requise; ils s'avanc¨¨rent vers
-Candide et le pri¨¨rent ¨¤ d\810\8a6ner tr¨¨s civilement.--Messieurs, leur
-dit Candide avec une modestie charmante, vous me faites beaucoup
-d'honneur, mais je n'ai pas de quoi payer mon ¨¦cot.--Ah!
-monsieur, lui dit un des bleus, les personnes de votre figure et
-de votre m¨¦rite ne paient jamais rien: n'avez-vous pas cinq pieds
-cinq pouces de haut?--Oui, messieurs, c'est ma taille, dit-il en
-fesant la r¨¦v¨¦rence.--Ah!  monsieur, mettez-vous ¨¤ table; non
-seulement nous vous d¨¦fraierons, mais nous ne souffrirons jamais
-qu'un homme comme vous manque d'argent; les hommes ne sont faits
-que pour se secourir les uns les autres.--Vous avez raison, dit
-Candide; c'est ce que M. Pangloss m'a toujours dit, et je vois
-bien que tout est au mieux.  On le prie d'accepter quelques ¨¦cus,
-il les prend et veut faire son billet; on n'en veut point, on se
-met ¨¤ table.  N'aimez-vous pas tendrement?....--Oh!  oui,
-r¨¦pond-il, j'aime tendrement mademoiselle Cun¨¦gonde.--Non, dit
-l'un de ces messieurs, nous vous demandons si vous n'aimez pas
-tendrement le roi des Bulgares?--Point du tout, dit-il, car je ne
-l'ai jamais vu.--Comment! c'est le plus charmant des rois, et il
-faut boire ¨¤ sa sant¨¦.--Oh! tr¨¨s volontiers, messieurs.  Et il
-boit.  C'en est assez, lui dit-on, vous voil¨¤ l'appui, le
-soutien, le d¨¦fenseur, le h¨¦ros des Bulgares; votre fortune est
-faite, et votre gloire est assur¨¦e.  On lui met sur-le-champ les
-fers aux pieds, et on le m¨¨ne au r¨¦giment.  On le fait tourner ¨¤
-droite, ¨¤ gauche, hausser la baguette, remettre la baguette,
-coucher en joue, tirer, doubler le pas, et on lui donne trente
-coups de b\810\899ton; le lendemain, il fait l'exercice un peu moins
-mal, et il ne re\810\8a4oit que vingt coups; le surlendemain, on ne lui
-en donne que dix, et il est regard¨¦ par ses camarades comme un
-prodige.
-
-Candide, tout stup¨¦fait, ne d¨¦m¨ºlait pas encore trop bien comment
-il ¨¦tait un h¨¦ros.  Il s'avisa un beau jour de printemps de
-s'aller promener, marchant tout droit devant lui, croyant que
-c'¨¦tait un privil¨¨ge de l'esp¨¨ce humaine, comme de l'esp¨¨ce
-animale, de se servir de ses jambes ¨¤ son plaisir.  Il n'eut pas
-fait deux lieues que voil¨¤ quatre autres h¨¦ros de six pieds qui
-l'atteignent, qui le lient, qui le m¨¨nent dans un cachot.  On lui
-demanda juridiquement ce qu'il aimait le mieux d'¨ºtre fustig¨¦
-trente-six fois par tout le r¨¦giment, ou de recevoir ¨¤-la-fois
-douze balles de plomb dans la cervelle.  Il eut beau dire que les
-volont¨¦s sont libres, et qu'il ne voulait ni l'un ni l'autre, il
-fallut faire un choix; il se d¨¦termina, en vertu du don de Dieu
-qu'on nomme _libert¨¦_, ¨¤ passer trente-six fois par les
-baguettes; il essuya deux promenades.  Le r¨¦giment ¨¦tait compos¨¦
-de deux mille hommes; cela lui composa quatre mille coups de
-baguette, qui, depuis la nuque du cou jusqu'au cul, lui
-d¨¦couvrirent les muscles et les nerfs.  Comme on allait proc¨¦der
-¨¤ la troisi¨¨me course, Candide, n'en pouvant plus, demanda en
-gr\810\899ce qu'on voul\810\8b4t bien avoir la bont¨¦ de lui casser la t¨ºte; il
-obtint cette faveur; on lui bande les yeux; on le fait mettre ¨¤
-genoux.  Le roi des Bulgares passe dans ce moment, s'informe du
-crime du patient; et comme ce roi avait un grand g¨¦nie, il
-comprit, par tout ce qu'il apprit de Candide, que c'¨¦tait un
-jeune m¨¦taphysicien fort ignorant des choses de ce monde, et il
-lui accorda sa gr\810\899ce avec une cl¨¦mence qui sera lou¨¦e dans tous
-les journaux et dans tous les si¨¨cles.  Un brave chirurgien
-gu¨¦rit Candide en trois semaines avec les ¨¦mollients enseign¨¦s
-par Dioscoride.  Il avait d¨¦j¨¤ un peu de peau et pouvait marcher,
-quand le roi des Bulgares livra bataille au roi des Abares.
-
-
-
-CHAPITRE III.
-
-Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il
-devint.
-
-
-Rien n'¨¦tait si beau, si leste, si brillant, si bien ordonn¨¦ que
-les deux arm¨¦es.  Les trompettes, les fifres, les hautbois, les
-tambours, les canons; formaient une harmonie telle qu'il n'y en
-eut jamais en enfer.  Les canons renvers¨¨rent d'abord ¨¤ peu pr¨¨s
-six mille hommes de chaque c\810\8b0t¨¦; ensuite la mousqueterie \810\8b0ta du
-meilleur des mondes environ neuf ¨¤ dix mille coquins qui en
-infectaient la surface.  La ba\810\8a7onnette fut aussi la raison
-suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes.  Le tout
-pouvait bien se monter ¨¤ une trentaine de mille \810\899mes.  Candide,
-qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put
-pendant cette boucherie h¨¦ro\810\8a7que.
-
-Enfin, tandis que les deux rois fesaient chanter des _Te Deum_,
-chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs
-des effets et des causes.  Il passa par-dessus des tas de morts
-et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il ¨¦tait en
-cendres: c'¨¦tait un village abare que les Bulgares avaient br\810\8b4l¨¦,
-selon les lois du droit public.  Ici des vieillards cribl¨¦s de
-coups regardaient mourir leurs femmes ¨¦gorg¨¦es, qui tenaient
-leurs enfants ¨¤ leurs mamelles sanglantes; l¨¤ des filles
-¨¦ventr¨¦es apr¨¨s avoir assouvi les besoins naturels de quelques
-h¨¦ros, rendaient les derniers soupirs; d'autres ¨¤ demi br\810\8b4l¨¦es
-criaient qu'on achev\810\899t de leur donner la mort.  Des cervelles
-¨¦taient r¨¦pandues sur la terre ¨¤ c\810\8b0t¨¦ de bras et de jambes
-coup¨¦s.
-
-Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il
-appartenait ¨¤ des Bulgares, et les h¨¦ros abares l'avaient trait¨¦
-de m¨ºme.  Candide, toujours marchant sur des membres palpitants
-ou ¨¤ travers des ruines, arriva enfin hors du th¨¦\810\899tre de la
-guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et
-n'oubliant jamais mademoiselle Cun¨¦gonde.  Ses provisions lui
-manqu¨¨rent quand il fut en Hollande; mais ayant entendu dire que
-tout le monde ¨¦tait riche dans ce pays-l¨¤, et qu'on y ¨¦tait
-chr¨¦tien, il ne douta pas qu'on ne le trait\810\899t aussi bien qu'il
-l'avait ¨¦t¨¦ dans le ch\810\899teau de M. le baron, avant qu'il en e\810\8b4t
-¨¦t¨¦ chass¨¦ pour les beaux yeux de mademoiselle Cun¨¦gonde.
-
-Il demanda l'aum\810\8b0ne ¨¤ plusieurs graves personnages, qui lui
-r¨¦pondirent tous que, s'il continuait ¨¤ faire ce m¨¦tier, on
-l'enfermerait dans une maison de correction pour lui apprendre ¨¤
-vivre.
-
-Il s'adressa ensuite ¨¤ un homme qui venait de parler tout seul
-une heure de suite sur la charit¨¦ dans une grande assembl¨¦e.  Cet
-orateur le regardant de travers lui dit: Que venez-vous faire
-ici? y ¨ºtes-vous pour la bonne cause? Il n'y a point d'effet sans
-cause, r¨¦pondit modestement Candide; tout est encha\810\8a6n¨¦
-n¨¦cessairement et arrang¨¦ pour le mieux.  Il a fallu que je fusse
-chass¨¦ d'aupr¨¨s de mademoiselle Cun¨¦gonde, que j'aie pass¨¦ par
-les baguettes, et il faut que je demande mon pain, jusqu'¨¤ ce que
-je puisse en gagner; tout cela ne pouvait ¨ºtre autrement.  Mon
-ami, lui dit l'orateur, croyez-vous que le pape soit
-l'antechrist? Je ne l'avais pas encore entendu dire, r¨¦pondit
-Candide: mais qu'il le soit, ou qu'il ne le soit pas, je manque
-de pain.  Tu ne m¨¦rites pas d'en manger, dit l'autre: va, coquin,
-va, mis¨¦rable, ne m'approche de ta vie.  La femme de l'orateur
-ayant mis la t¨ºte ¨¤ la fen¨ºtre, et avisant un homme qui doutait
-que le pape f\810\8b4t antechrist, lui r¨¦pandit sur le chef un
-plein.....  O ciel!  ¨¤ quel exc¨¨s se porte le z¨¨le de la religion
-dans les dames!
-
-Un homme qui n'avait point ¨¦t¨¦ baptis¨¦, un bon anabaptiste, nomm¨¦
-Jacques, vit la mani¨¨re cruelle et ignominieuse dont on traitait
-ainsi un de ses fr¨¨res, un ¨ºtre ¨¤ deux pieds sans plumes, qui
-avait une \810\899me; il l'amena chez lui, le nettoya, lui donna du pain
-et de la bi¨¨re, lui fit pr¨¦sent de deux florins, et voulut m¨ºme
-lui apprendre ¨¤ travailler dans ses manufactures aux ¨¦toffes de
-Perse qu'on fabrique en Hollande.  Candide se prosternant presque
-devant lui, s'¨¦criait: Ma\810\8a6tre Pangloss me l'avait bien dit que
-tout est au mieux dans ce monde, car je suis infiniment plus
-touch¨¦ de votre extr¨ºme g¨¦n¨¦rosit¨¦ que de la duret¨¦ de ce
-monsieur ¨¤ manteau noir, et de madame son ¨¦pouse.
-
-Le lendemain, en se promenant, il rencontra un gueux tout couvert
-de pustules, les yeux morts, le bout du nez rong¨¦, la bouche de
-travers, les dents noires, et parlant de la gorge, tourment¨¦
-d'une toux violente, et crachant une dent ¨¤ chaque effort.
-
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-Comment Candide rencontra son ancien ma\810\8a6tre de philosophie, le
-docteur Pangloss, et ce qui en advint.
-
-
-Candide, plus ¨¦mu encore de compassion que d'horreur, donna ¨¤ cet
-¨¦pouvantable gueux les deux florins qu'il avait re\810\8a4us de son
-honn¨ºte anabaptiste Jacques.  Le fant\810\8b0me le regarda fixement,
-versa des larmes, et sauta ¨¤ son cou.  Candide effray¨¦ recule.
-H¨¦las! dit le mis¨¦rable ¨¤ l'autre mis¨¦rable, ne reconnaissez-vous
-plus votre cher Pangloss? Qu'entends-je? vous, mon cher ma\810\8a6tre!
-vous, dans cet ¨¦tat horrible! quel malheur vous est-il donc
-arriv¨¦? pourquoi n'¨ºtes-vous plus dans le plus beau des ch\810\899teaux?
-qu'est devenue mademoiselle Cun¨¦gonde, la perle des filles, le
-chef-d'oeuvre de la nature? Je n'en peux plus, dit Pangloss.
-Aussit\810\8b0t Candide le mena dans l'¨¦table de l'anabaptiste, o¨´ il
-lui fit manger un peu de pain; et quand Pangloss fut refait: Eh
-bien! lui dit-il, Cun¨¦gonde? Elle est morte, reprit l'autre.
-Candide s'¨¦vanouit ¨¤ ce mot: son ami rappela ses sens avec un peu
-de mauvais vinaigre qui se trouva par hasard dans l'¨¦table.
-Candide rouvre les yeux.  Cun¨¦gonde est morte! Ah!  meilleur des
-mondes, o¨´ ¨ºtes-vous? Mais de quelle maladie est-elle morte? ne
-serait-ce point de m'avoir vu chasser du beau ch\810\899teau de monsieur
-son p¨¨re ¨¤ grands coups de pied? Non, dit Pangloss, elle a ¨¦t¨¦
-¨¦ventr¨¦e par des soldats bulgares, apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ viol¨¦e autant
-qu'on peut l'¨ºtre; ils ont cass¨¦ la t¨ºte ¨¤ monsieur le baron qui
-voulait la d¨¦fendre; madame la baronne a ¨¦t¨¦ coup¨¦e en morceaux;
-mon pauvre pupille trait¨¦ pr¨¦cis¨¦ment comme sa soeur; et quant au
-ch\810\899teau, il n'est pas rest¨¦ pierre sur pierre, pas une grange,
-pas un mouton, pas un canard, pas un arbre; mais nous avons ¨¦t¨¦
-bien veng¨¦s, car les Abares en ont fait autant dans une baronnie
-voisine qui appartenait ¨¤ un seigneur bulgare.
-
-A ce discours, Candide s'¨¦vanouit encore; mais revenu ¨¤ soi, et
-ayant dit tout ce qu'il devait dire, il s'enquit de la cause et
-de l'effet, et de la raison suffisante qui avait mis Pangloss
-dans un si piteux ¨¦tat.  H¨¦las! dit l'autre, c'est l'amour:
-l'amour, le consolateur du genre humain, le conservateur de
-l'univers, l'\810\899me de tous les ¨ºtres sensibles, le tendre amour.
-H¨¦las! dit Candide, je l'ai connu cet amour, ce souverain des
-coeurs, cette \810\899me de notre \810\899me; il ne m'a jamais valu qu'un
-baiser et vingt coups de pied au cul.  Comment cette belle cause
-a-t-elle pu produire en vous un effet si abominable?
-
-Pangloss r¨¦pondit en ces termes: O mon cher Candide! vous avez
-connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne:
-j'ai go\810\8b4t¨¦ dans ses bras les d¨¦lices du paradis, qui ont produit
-ces tourments d'enfer dont vous me voyez d¨¦vor¨¦; elle en ¨¦tait
-infect¨¦e, elle en est peut-¨ºtre morte.  Paquette tenait ce
-pr¨¦sent d'un cordelier tr¨¨s savant qui avait remont¨¦ ¨¤ la source,
-car il l'avait eu d'une vieille comtesse, qui l'avait re\810\8a4u d'un
-capitaine de cavalerie, qui le devait ¨¤ une marquise, qui le
-tenait d'un page, qui l'avait re\810\8a4u d'un j¨¦suite, qui, ¨¦tant
-novice, l'avait eu en droite ligne d'un des compagnons de
-Christophe Colomb.  Pour moi, je ne le donnerai ¨¤ personne, car
-je me meurs.
-
-O Pangloss! s'¨¦cria Candide, voil¨¤ une ¨¦trange g¨¦n¨¦alogie!
-n'est-ce pas le diable qui en fut la souche?  Point du tout,
-r¨¦pliqua ce grand homme; c'¨¦tait une chose indispensable dans le
-meilleur des mondes, un ingr¨¦dient n¨¦cessaire; car si Colomb
-n'avait pas attrap¨¦ dans une \810\8a6le de l'Am¨¦rique cette maladie[1]
-qui empoisonne la source de la g¨¦n¨¦ration, qui souvent m¨ºme
-emp¨ºche la g¨¦n¨¦ration, et qui est ¨¦videmment l'oppos¨¦ du grand
-but de la nature, nous n'aurions ni le chocolat ni la cochenille;
-il faut encore observer que jusqu'aujourd'hui, dans notre
-continent, cette maladie nous est particuli¨¨re, comme la
-controverse.  Les Turcs, les Indiens, les Persans, les Chinois,
-les Siamois, les Japonais, ne la connaissent pas encore; mais il
-y a une raison suffisante pour qu'ils la connaissent ¨¤ leur tour
-dans quelques si¨¨cles.  En attendant elle a fait un merveilleux
-progr¨¨s parmi nous, et surtout dans ces grandes arm¨¦es compos¨¦es
-d'honn¨ºtes stipendiaires bien ¨¦lev¨¦s, qui d¨¦cident du destin des
-¨¦tats; on peut assurer que, quand trente mille hommes combattent
-en bataille rang¨¦e contre des troupes ¨¦gales en nombre, il y a
-environ vingt mille v¨¦rol¨¦s de chaque c\810\8b0t¨¦.
-
-  [1] Voyez tome XXXI, page 7.  B.
-
-
-Voil¨¤ qui est admirable, dit Candide; mais il faut vous faire
-gu¨¦rir.  Et comment le puis-je? dit Pangloss; je n'ai pas le sou,
-mon ami, et dans toute l'¨¦tendue de ce globe on ne peut ni se
-faire saigner, ni prendre un lavement sans payer, ou sans qu'il y
-ait quelqu'un qui paie pour nous.
-
-Ce dernier discours d¨¦termina Candide; il alla se jeter aux pieds
-de son charitable anabaptiste Jacques, et lui fit une peinture si
-touchante de l'¨¦tat o¨´ son ami ¨¦tait r¨¦duit, que le bon-homme
-n'h¨¦sita pas ¨¤ recueillir le docteur Pangloss; il le fit gu¨¦rir ¨¤
-ses d¨¦pens.  Pangloss, dans la cure, ne perdit qu'un oeil et une
-oreille.  Il ¨¦crivait bien, et savait parfaitement
-l'arithm¨¦tique.  L'anabaptiste Jacques en fit son teneur de
-livres.  Au bout de deux mois, ¨¦tant oblig¨¦ d'aller ¨¤ Lisbonne
-pour les affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau ses
-deux philosophes.  Pangloss lui expliqua comment tout ¨¦tait on ne
-peut mieux.  Jacques n'¨¦tait pas de cet avis.  Il faut bien,
-disait-il, que les hommes aient un peu corrompu la nature, car
-ils ne sont point n¨¦s loups, et ils sont devenus loups.  Dieu ne
-leur a donn¨¦ ni canons de vingt-quatre, ni ba\810\8a7onnettes, et ils se
-sont fait des ba\810\8a7onnettes et des canons pour se d¨¦truire.  Je
-pourrais mettre en ligne de compte les banqueroutes, et la
-justice qui s'empare des biens des banqueroutiers pour en
-frustrer les cr¨¦anciers.  Tout cela ¨¦tait indispensable,
-r¨¦pliquait le docteur borgne, et les malheurs particuliers font
-le bien g¨¦n¨¦ral; de sorte que plus il y a de malheurs
-particuliers, et plus tout est bien.  Tandis qu'il raisonnait,
-l'air s'obscurcit, les vents souffl¨¨rent des quatre coins du
-monde, et le vaisseau fut assailli de la plus horrible temp¨ºte, ¨¤
-la vue du port de Lisbonne.
-
-
-CHAPITRE V.
-
-Temp¨ºte, naufrage, tremblement de terre, et ce qui advint du
-docteur Pangloss, de Candide, et de l'anabaptiste Jacques.
-
-La moiti¨¦ des passagers affaiblis, expirants de ces angoisses
-inconcevables que le roulis d'un vaisseau porte dans les nerfs et
-dans toutes les humeurs du corps agit¨¦es en sens contraires,
-n'avait pas m¨ºme la force de s'inqui¨¦ter du danger.  L'autre
-moiti¨¦ jetait des cris et fesait des pri¨¨res; les voiles ¨¦taient
-d¨¦chir¨¦es, les m\810\899ts bris¨¦s, le vaisseau entr'ouvert.  Travaillait
-qui pouvait, personne ne s'entendait, personne ne commandait.
-L'anabaptiste aidait un peu ¨¤ la manoeuvre; il ¨¦tait sur le
-tillac; un matelot furieux le frappe rudement et l'¨¦tend sur les
-planches; mais du coup qu'il lui donna, il eut lui-m¨ºme une si
-violente secousse, qu'il tomba hors du vaisseau, la t¨ºte la
-premi¨¨re.  Il restait suspendu et accroch¨¦ ¨¤ une partie de m\810\899t
-rompu.  Le bon Jacques court ¨¤ son secours, l'aide ¨¤ remonter, et
-de l'effort qu'il fait, il est pr¨¦cipit¨¦ dans la mer ¨¤ la vue du
-matelot, qui le laissa p¨¦rir sans daigner seulement le regarder.
-Candide approche, voit son bienfaiteur qui repara\810\8a6t un moment, et
-qui est englouti pour jamais.  Il veut se jeter apr¨¨s lui dans la
-mer: le philosophe Pangloss l'en emp¨ºche, en lui prouvant que la
-rade de Lisbonne avait ¨¦t¨¦ form¨¦e expr¨¨s pour que cet anabaptiste
-s'y noy\810\899t.  Tandis qu'il le prouvait _¨¤ priori_, le vaisseau
-s'entr'ouvre, tout p¨¦rit ¨¤ la r¨¦serve de Pangloss, de Candide, et
-de ce brutal de matelot qui avait noy¨¦ le vertueux anabaptiste;
-le coquin nagea heureusement jusqu'au rivage, o¨´ Pangloss et
-Candide furent port¨¦s sur une planche.
-
-Quand ils furent revenus un peu ¨¤ eux, ils march¨¨rent vers
-Lisbonne; il leur restait quelque argent, avec lequel ils
-esp¨¦raient se sauver de la faim apr¨¨s avoir ¨¦chapp¨¦ ¨¤ la temp¨ºte.
-
-A peine ont-ils mis le pied dans la ville, en pleurant la mort de
-leur bienfaiteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs
-pas[1]; la mer s'¨¦l¨¨ve en bouillonnant dans le port, et brise les
-vaisseaux qui sont ¨¤ l'ancre.  Des tourbillons de flammes et de
-cendres couvrent les rues et les places publiques; les maisons
-s'¨¦croulent, les toits sont renvers¨¦s sur les fondements, et les
-fondements se dispersent; trente mille habitants de tout \810\899ge et
-de tout sexe sont ¨¦cras¨¦s sous des ruines.  Le matelot disait en
-sifflant et en jurant: il y aura quelque chose ¨¤ gagner ici.
-Quelle peut ¨ºtre la raison suffisante de ce ph¨¦nom¨¨ne? disait
-Pangloss.  Voici le dernier jour du monde!  s'¨¦criait Candide.
-Le matelot court incontinent au milieu des d¨¦bris, affronte la
-mort pour trouver de l'argent, en trouve, s'en empare, s'enivre,
-et ayant cuv¨¦ son vin, ach¨¨te les faveurs de la premi¨¨re fille de
-bonne volont¨¦ qu'il rencontre sur les ruines des maisons
-d¨¦truites, et au milieu des mourants et des morts.  Pangloss le
-tirait cependant par la manche: Mon ami, lui disait-il, cela
-n'est pas bien, vous manquez ¨¤ la raison universelle, vous prenez
-mal votre temps.  T¨ºte et sang, r¨¦pondit l'autre, je suis matelot
-et n¨¦ ¨¤ Batavia; j'ai march¨¦ quatre fois sur le crucifix dans
-quatre voyages au Japon[2]; tu as bien trouv¨¦ ton homme avec ta
-raison universelle!
-
-
-  [1] Le tremblement de terre de Lisbonne est du 1er novembre 1755.
-  B.
-
-  [2] Voyez tome XVIII, page 470.  B.
-
-
-Quelques ¨¦clats de pierre avaient bless¨¦ Candide; il ¨¦tait ¨¦tendu
-dans la rue et couvert de d¨¦bris.  Il disait ¨¤ Pangloss: H¨¦las!
-procure-moi un peu de vin et d'huile; je me meurs.  Ce
-tremblement de terre n'est pas une chose nouvelle, r¨¦pondit
-Pangloss; la ville de Lima ¨¦prouva les m¨ºmes secousses en
-Am¨¦rique l'ann¨¦e pass¨¦e; m¨ºmes causes, m¨ºmes effets; il y a
-certainement une tra\810\8a6n¨¦e de soufre sous terre depuis Lima jusqu'¨¤
-Lisbonne.  Rien n'est plus probable, dit Candide; mais, pour
-Dieu, un peu d'huile et de vin.  Comment probable?  r¨¦pliqua le
-philosophe, je soutiens que la chose est d¨¦montr¨¦e.  Candide
-perdit connaissance, et Pangloss lui apporta un peu d'eau d'une
-fontaine voisine.
-
-Le lendemain, ayant trouv¨¦ quelques provisions de bouche en se
-glissant ¨¤ travers des d¨¦combres, ils r¨¦par¨¨rent un peu leurs
-forces.  Ensuite ils travaill¨¨rent comme les autres ¨¤ soulager
-les habitants ¨¦chapp¨¦s ¨¤ la mort.  Quelques citoyens, secourus
-par eux, leur donn¨¨rent un aussi bon d\810\8a6ner qu'on le pouvait dans
-un tel d¨¦sastre: il est vrai que le repas ¨¦tait triste; les
-convives arrosaient leur pain de leurs larmes; mais Pangloss les
-consola, en les assurant que les choses ne pouvaient ¨ºtre
-autrement: Car, dit-il, tout ceci est ce qu'il y a de mieux; car
-s'il y a un volcan ¨¤ Lisbonne, il ne pouvait ¨ºtre ailleurs; car
-il est impossible que les choses ne soient pas o¨´ elles sont, car
-tout est bien.
-
-Un petit homme noir, familier de l'inquisition, lequel ¨¦tait ¨¤
-c\810\8b0t¨¦ de lui, prit poliment la parole et dit: Apparemment que
-monsieur ne croit pas au p¨¦ch¨¦ originel; car si tout est au
-mieux, il n'y a donc eu ni chute ni punition.
-
-Je demande tr¨¨s humblement pardon ¨¤ votre excellence, r¨¦pondit
-Pangloss encore plus poliment, car la chute de l'homme et la
-mal¨¦diction entraient n¨¦cessairement dans le meilleur des mondes
-possibles.  Monsieur ne croit donc pas ¨¤ la libert¨¦? dit le
-familier.  Votre excellence m'excusera, dit Pangloss; la libert¨¦
-peut subsister avec la n¨¦cessit¨¦ absolue; car il ¨¦tait n¨¦cessaire
-que nous fussions libres; car enfin la volont¨¦ d¨¦termin¨¦e......
-Pangloss ¨¦tait au milieu de sa phrase, quand Je familier fit un
-signe de t¨ºte ¨¤ son estafier qui lui servait ¨¤ boire du vin de
-Porto ou d'Oporto.